Au nom des nôtres

Fayard, 2003

  1. Le résumé du éditeur

    Été 1921, nord du Maroc. Dans la chaleur étouffante et poussieureuse des collines du Rif, des bataillons espagnols tentent de résister aux assauts répétés de la harka, cette armée de rebelles autochtones, tour á tour ennemis invisibles est attaquantes sanguinaires. Sûr de sa supériorité militaire, le haut commandemment a sous-estimé l’adversaire, et ce sont de simples soldats, engagés volontaires ou jeunes recrues inexpérimentées, qui se retrouvent aujoud’hui assiégés, aux abois, tirraillés par la faim et la soif.

    Le récit se déroule autour de quelques personnages épiques, embarqués dans un conflit colonial qui n’est pas le leur, «condamnés a l’heroïsme» pour défendre des intérêts dont ils ne profitent en rien: le sergent Molina, un Andalou d’origine modeste engagé dans l’armée par sens des responsabilités; ses deux amis, Haddú, policier marocaine fidèle jusqu’au bout à ceux qui ont pourtant asservi son peuple, et Amador, un appelé madrilène, syndicaliste à la conscience politique trés éveillée; enfin, Andreu, un anarchiste barcelonais dont le cynisme est d’autant plus mordant qu’il se sent invulnérable aunx balles ennemies.

    En s’inspirant des récits de son grand-père, rescapé miraculeux de cette guerre absurde, Lorenzo Silva fait revivre ici le destin tragique d’hommes mus par le sens du sacrifice ou l’energie du désespoir. Et à travers leurs regards croisés, il donne enfin un nom, un visage et une voix à ces héros trop suvent oubliés.

  2. Une critique

    Avec Au nom des nôtres, le Madrilène Lorenzo Silva, jeune auteur de romans policiers, change de registre. Délaissant ses deux héros récurrents, le sergent Bevilacqua et son acolyte Chamorro, il se penche cette fois sur un des épisodes les moins connus de l’histoire hispanique : la «question marocaine».

    Dans cette Espagne du premier quart du XXe siècle, qualifiée par le philosophe Ortega y Gasset d’«invertébrée», l’armée, plus que jamais coupée du peuple et employée à maintenir l’ordre, cherche désespérément l’événement qui va lui permettre de reprendre la place qu’elle occupait à l’époque de la Restauration et de la Régence. Après la défaite de Cuba, celle-ci pense avoir trouvé dans une implantation définitive au Maroc la solution à ses problèmes. Le plan audacieux de conquête conçu par le haut-commissaire Berenguer est un échec. Ses troupes, mal préparées, se débandent à Annual.

    Harcelés par les partisans marocains, les soldats espagnols et leurs auxiliaires indigènes sont massacrés. Le général Silvestre se suicide. Le Rif entier se soulève. Tous les fortins de la zone, privés d’eau et de munitions, cèdent les uns après les autres. En quelques semaines, les pertes en hommes et en matériel sont énormes. Douze mille morts, des milliers de blessés. Pour nombre d’Espagnols, le Maroc apparaît enfin pour ce qu’il a toujours été : le lieu des ambitions personnelles des militaires, et des intérêts financiers des politiciens.

    Le pari de Lorenzo Silva n’était pas gagné d’avance. Il devait tout à la fois rester dans la reconstitution rigoureuse des faits et laisser la place à la fiction. Ces événements tragiques, parce que complexes et très controversés, relèvent de ces faits étranges sur lesquels l’histoire hésite et qu’elle abandonne malgré elle à l’imagination des romanciers. Lorenzo Silva a fait le bon choix. En refusant la fresque épique au profit d’un jeu de silhouettes fugacement éclairées – un sergent andalou, un policier marocain, un syndicaliste madrilène, un anarchiste barcelonais –, il nous livre une vision très personnelle de cette guerre oubliée.

    Dans son prologue, l’auteur confesse que son livre se veut un modeste hommage à son grand-père Lorenzo Silva Molina, sergent de cette armée d’Afrique, ainsi qu’aux soldats du régiment de Cerinola qui «eurent le malheur de se trouver au pire des endroits au pire des moments, forcés de tout sacrifier en échange de rien». Au nom des nôtres est un témoignage littéraire émouvant et dérangeant. Le lisant, on pense souvent au Désert des Tartares de Dino Buzzati, dans lequel le commandant Bastiani doit affronter une mort terne et sans gloire ; mais aussi au film profondément désespéré de Dino Risi, Scemo di guerra.

    Pour beaucoup, cette guerre fut inutile, certains même en profitèrent pour demander qu’on abandonne purement et simplement le Maroc. Pour d’autres, elle constitua un terreau macabre sur lequel fomenter l’avenir. Millan Astray y fit évoluer les premiers éléments de sa Légion, ses «fiancés de la mort», confiant à un certain Francisco Franco le soin de commander un de ses trois bataillons. On retrouvera l’un et l’autre à la tête du soulèvement militaire de juillet 1936. Maritain prétend que les hommes ne désirent rien tant qu’une vie héroïque, ce livre est un chant funèbre aux morts sans sépulture, un tombeau aux «héros inconnus».

    Gérard de Cortanze, Le Figaro Littéraire.

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